France Travail, chômeurs, surveillance, fraude sociale
Scandale au Sénat : France Travail bientôt autorisé à consulter vos appels et vols ?
Un amendement voté dans l’ombre pourrait transformer France Travail en véritable service de surveillance. Désormais, les chômeurs risquent d’être traqués via leurs relevés téléphoniques, leurs comptes bancaires et même leurs données de vol. Une réforme présentée comme une lutte contre la fraude sociale, mais qui fait craindre un glissement vers un État de contrôle permanent.
Quel est le contenu de cette mesure controversée ?
Le 13 novembre 2025, le Sénat a adopté un amendement radical dans le cadre du projet de loi de lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Ce texte donne à France Travail de nouveaux pouvoirs d’enquête pour vérifier la résidence effective des bénéficiaires d’allocations chômage.
Concrètement, l’opérateur public pourrait accéder aux relevés téléphoniques des allocataires. Il aurait aussi la possibilité d’interroger les fichiers des compagnies aériennes afin de retracer leurs déplacements. Si plusieurs indices « sérieux » sont détectés, une suspension conservatoire des allocations pourrait être prononcée.
L’objectif affiché ? Lutter contre ceux qui touchent des aides tout en vivant à l’étranger. Mais derrière ce discours sécuritaire, un système de surveillance intrusive se met en place.
Pourquoi cette réforme soulève-t-elle tant de critiques ?
Les opposants dénoncent une atteinte grave aux libertés individuelles. Le sénateur socialiste Jean-Luc Fichet parle d’une « ligne rouge franchie ». Pour lui, les demandeurs d’emploi sont désormais traités comme des suspects par défaut.
L’écologiste Raymonde Poncet Monge alerte sur un précédent dangereux. Car une fois ces outils créés, rien ne garantit qu’ils resteront limités aux cas de fraude avérée. La tentation de généraliser le contrôle sera forte.
Et le gouvernement lui-même montre des signes de réserve. Le ministre du Travail, Jean-Pierre Farandou, a exprimé des doutes sur la licéité d’un tel accès à des données personnelles sensibles. Confier à un organisme d’insertion des prérogatives proches de celles de la police inquiète au sein même de la majorité.
Quels sont les risques concrets pour les chômeurs ?
Le danger principal ? La banalisation du suivi numérique. Un appel régulier vers un pays étranger, un séjour familial prolongé, ou un simple billet d’avion peuvent vite être interprétés comme des « indices sérieux » de fraude.
Or, beaucoup de chômeurs ont des liens familiaux à l’étranger, des situations complexes, ou simplement besoin de souffler. Être pénalisé pour cela remet en cause le principe même de justice sociale.
Autre risque majeur : la suspension conservatoire des allocations. Cela signifie que les revenus peuvent être coupés avant même qu’un recours soit examiné. Pour des foyers déjà fragilisés, c’est souvent le début d’un basculement vers l’endettement, voire la précarité extrême.
Une politique de la suspicion contre les plus vulnérables ?
Ce qui frappe, c’est l’asymétrie des mesures. Alors que la fraude fiscale coûte entre 80 et 100 milliards d’euros par an, contre 9,6 à 11,7 milliards pour la fraude sociale, ce sont les allocataires les plus modestes qui font l’objet des dispositifs les plus intrusifs.
La droite sénatoriale, menée par Frédérique Puissat (LR), justifie ces mesures par un besoin de contrôle renforcé. Selon elle, la fraude liée à la résidence représenterait 136 millions d’euros en 2024. Mais est-il raisonnable de mobiliser des moyens dignes d’une enquête policière pour ce montant ?
En parallèle, d’autres mesures durcissent encore le cadre : obligation de domiciliation bancaire en France ou dans l’UE, suppression du CPF en cas d’absence sans motif, suspension du tiers payant pour les fraudes avérées. Tout cela dessine une logique de plus en plus coercitive.
Et demain ? Vers une société de contrôle total ?
Il y a un risque de glissement progressif. Aujourd’hui, on parle de chômeurs. Demain, ce pourrait être les bénéficiaires du RSA, des aides familiales, ou même des soins. Une fois la boîte de Pandore ouverte, difficile de revenir en arrière.
Plus inquiétant encore : l’effet dissuasif. Si les gens pensent être surveillés comme des criminels, ils hésiteront à demander leurs droits. Et c’est tout le système de protection sociale qui perd en efficacité.
Le vote final du texte est attendu mardi à l’Assemblée nationale. Mais une question reste en suspens : jusqu’où ira-t-on dans la surveillance des plus précaires, au nom d’un combat symbolique contre la fraude ?
