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“Il y a des gens qui dorment !” : un agriculteur traîné en justice pour avoir nourri ses vaches à 6h du matin

Il faisait ce qu’il fait chaque jour depuis des décennies : nourrir ses bêtes à l’aube. Pourtant, Olivier Berthe, éleveur dans la Somme, s’est retrouvé devant le tribunal correctionnel d’Amiens, accusé de tapage nocturne… parce qu’il avait alimenté ses vaches à 6 heures du matin. Une affaire qui résume bien les tensions croissantes entre nouveaux arrivants en milieu rural et réalité du travail agricole.

Un matin comme les autres… mais pas pour tout le monde

En octobre 2024, à Lignières-en-Vimeu (Hauts-de-France), Olivier Berthe, 58 ans, démarre sa journée un peu plus tôt que d’habitude. Pendant trois jours, il se rend à l’étable à 6h pour nourrir son troupeau, accompagné de ses fils. Rien d’inhabituel dans le monde agricole. Mais dans ce village paisible, une voisine voit rouge.

Installée depuis une vingtaine d’années — originaire de la région parisienne —, elle dénonce des “bruits de tracteur très forts” et des échanges “à voix haute” entre le père et ses enfants. “Il y a des gens qui dorment !”, s’indigne-t-elle, ajoutant qu’“il ne m’a même pas prévenue qu’il allait faire un truc énorme comme ça”.

Une plainte jugée recevable… mais contestée

La voisine porte plainte pour tapage injurieux. Contre toute attente, le parquet la déclare recevable et engage des poursuites. L’affaire est immédiatement perçue comme absurde par la communauté agricole locale.

L’avocat d’Olivier Berthe s’insurge : “Monsieur Berthe est conscient que son activité peut légèrement déranger. Il fait tout son possible pour limiter les nuisances. Mais on ne peut pas poursuivre un agriculteur parce qu’il a fait du bruit pendant trois jours à 6 heures du matin. Ce n’est pas possible.”

Pour étayer sa défense, il soumet au tribunal des témoignages d’autres riverains qui, eux, n’ont aucune plainte à formuler contre l’éleveur — bien au contraire.

Relaxé, mais marqué par l’affaire

Le ministère public, pourtant, requiert une amende de 68 euros. Mais le tribunal, après délibération, décide de relaxer totalement l’agriculteur. Une décision saluée comme un signal important pour le monde rural.

“La campagne, ce n’est pas le paradis sans bruit”, rappelle Olivier Berthe, presque amère. Son message est clair : vivre à la campagne, c’est accepter les réalités du monde agricole — y compris les sons de tracteur à l’aube.

Un conflit de plus en plus fréquent

Cette affaire s’inscrit dans une tendance nationale croissante : l’installation de nouveaux résidents en zone rurale, souvent en quête de calme, qui se heurtent aux impératifs du travail agricole. Or, l’agriculture ne fonctionne pas aux horaires de bureau. Les vaches ne mangent pas à 9h. Les moissons n’attendent pas le week-end.

Les tribunaux sont de plus en plus saisis de litiges similaires — bruit de machines, odeurs de lisier, canons effaroucheurs. Pourtant, la jurisprudence rappelle régulièrement que l’activité agricole légalement exercée bénéficie d’un certain droit au bruit, surtout aux heures habituelles.

Ce cas illustre une fracture culturelle autant que juridique. Entre ceux qui vivent de la terre… et ceux qui rêvent d’un paysage silencieux.