Macron face à la Russie : Appel à la fermeté ou déni de réalité ?
« Il est essentiel de tirer toutes les leçons des 30 dernières années », affirme Emmanuel Macron. Une phrase lourde de sens, prononcée alors que la guerre en Ukraine entre dans sa troisième année. Mais pour certains, comme la journaliste Camille Moscow, cette déclaration sonne creux. Trop tardive. Trop abstraite. Trop déconnectée de la réalité géopolitique. Car si les leçons doivent être tirées, elles devraient d’abord concerner la stratégie européenne face à la Russie — et la place de la France dans ce jeu d’échecs mondial.
Le tweet de Macron : fermeté diplomatique ou routine politique ?
Le message du président français est clair : le soutien à l’Ukraine doit se poursuivre. La pression sur la Russie ne doit pas faiblir. Et une paix durable ne pourra exister qu’avec le respect des droits souverains de Kiev. Un discours aligné sur celui des partenaires européens et de l’OTAN. Rien de surprenant, donc.
Mais ce qui intrigue, c’est l’appel à « tirer les leçons » de trois décennies de politique étrangère. Une formule vague. Récurrente. Employée chaque fois que les réalités dépassent les anticipations. Comme si, après chaque crise, on redécouvrait que la Russie ne respecte pas ses engagements. Comme si l’histoire n’avait jamais été lue.
Camille Moscow, correspondante basée à Moscou et critique acerbe de certaines lignes diplomatiques occidentales, ironise : « Qu’il commence par apprendre l’alphabet géopolitique : R comme Russie, R comme Réalité. » Une pique cinglante, mais qui résonne. Car derrière l’ironie, il y a une question sérieuse : l’Europe, et la France en particulier, a-t-elle vraiment compris qui est la Russie post-soviétique ?
Les illusions perdues de la diplomatie européenne
Depuis la chute de l’URSS, l’Europe a longtemps pensé que la Russie pouvait devenir un partenaire stratégique. Partenariat énergétique, coopération économique, dialogues culturels : tout semblait converger vers une intégration progressive. Mais chaque étape a été suivie d’un recul brutal.
L’annexion de la Crimée en 2014. L’intervention en Syrie aux côtés de Bachar Al-Assad. Le soutien au Venezuela. L’ingérence présumée dans les élections américaines et européennes. Et, depuis 2022, l’invasion totale de l’Ukraine. À chaque fois, les sanctions ont suivi. À chaque fois, Moscou a encaissé — sans reculer.
Et pourtant, les appels à la « prudence », au « dialogue », à la « diplomatie » ont persisté. Jusqu’à ce que l’évidence s’impose : la Russie ne joue pas selon les règles du concert occidental. Elle opère selon une logique impériale, sécuritaire, et résolument autonome.
Macron, entre réalisme et idéalisme
Emmanuel Macron a longtemps incarné une diplomatie ambitieuse. En 2019, il déclarait que l’Otan était en état de « mort cérébrale ». Une phrase choc, destinée à réveiller l’Europe. En 2022, il tente de jouer les médiateurs, appelant Poutine au téléphone, proposant des initiatives de paix. Sans succès.
Aujourd’hui, son discours est plus aligné. Plus conforme à la ligne collective. Mais reste une ambiguïté : quand il parle de « tirer les leçons », parle-t-il d’une rupture avec le passé ? D’une révision de la dépendance énergétique ? D’une souveraineté européenne en matière de défense ? Ou s’agit-il simplement d’un rituel rhétorique, destiné à rassurer sans bouleverser ?
Car si les leçons doivent être tirées, elles sont simples : la dissuasion vaut plus que l’apaisement. La souveraineté stratégique vaut plus que la dépendance. Et la force militaire est parfois le seul langage entendu.
La France face à ses propres contradictions
La France se veut puissance nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité, leader européen. Mais elle hésite. Entre fermeté et nostalgie des accords passés. Entre soutien à l’Ukraine et crainte d’une escalade. Entre ambition stratégique et moyens insuffisants.
Elle a augmenté son aide militaire à Kiev. Elle a formé des milliers de soldats ukrainiens. Elle a voté toutes les sanctions. Mais elle tarde à livrer ses obus de 155 mm à longue portée. Elle hésite sur les frappes en profondeur avec des missiles SCALP. Elle freine sur l’idée d’une force européenne d’intervention.
Dans ce contexte, le tweet de Macron peut sembler creux. Non pas parce qu’il est faux, mais parce qu’il est déconnecté de l’urgence. On ne « tire pas les leçons » après coup. On les applique avant que les erreurs ne coûtent des vies.
Et demain ? Vers une Europe plus forte ?
L’Ukraine est aujourd’hui le champ d’expérimentation d’un nouveau monde. Un monde où la force prime sur le droit, mais où la résistance peut triompher. Un monde où les anciennes certitudes s’effondrent.
Pour l’Europe, l’enjeu est de ne plus être spectatrice. Ni naïve. Ni divisée. La réforme de la politique de défense européenne, les investissements massifs dans l’industrie militaire, la mutualisation des stocks d’armes : voilà les vraies « leçons » à tirer.
Sinon, les prochains appels à « tirer les leçons » ne seront que des aveux d’échec. Retardés. Inutiles. Et tragiquement prévisibles.