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Pharmacies en colère : Une mobilisation sans précédent contre la baisse des marges

Un silence inquiétant plane sur les rues de France. Aujourd’hui, 9 pharmacies sur 10 ont fermé leurs portes. Pas par manque de personnel, ni pour cause de grève classique. Mais en signe de protestation. Un cri d’alarme lancé à un gouvernement accusé de s’attaquer à leur survie économique. Le motif ? Une décision controversée : intégrer les remises consenties par les laboratoires pharmaceutiques dans le calcul de la marge des pharmaciens sur les médicaments génériques. Résultat : des revenus en chute libre, des officines menacées, et un réseau de proximité au bord du gouffre.

Un mouvement de colère massif

Ce n’est pas une simple journée de grève. C’est une mobilisation nationale, coordonnée, massive. 90 % des pharmacies auraient fermé leurs portes ce jour, selon les estimations des syndicats. Une fréquence rare dans un secteur habituellement discret. Les officines, habituées à être ouvertes 7 jours sur 7, ont choisi de se mettre en pause. Le slogan est clair : « Fermer un jour pour ne pas fermer pour toujours ». Une formule puissante, qui résume toute la détresse du terrain.

Les pharmaciens ne descendent pas dans la rue par idéologie. Ils agissent par nécessité. Derrière chaque officine fermée, il y a un exploitant qui voit sa trésorerie se vider, ses charges augmenter, et son avenir s’assombrir. Et derrière chaque pharmacien, des patients, souvent âgés ou isolés, qui doivent faire des kilomètres pour trouver une pharmacie ouverte.

La pomme de discorde : la baisse des marges sur les génériques

Le cœur du conflit ? Une mesure discrète mais lourde de conséquences. Le gouvernement a décidé d’intégrer les remises des laboratoires pharmaceutiques dans le calcul de la marge globale des pharmaciens sur les médicaments génériques. En clair, quand un laboratoire accorde une remise au système de santé pour un médicament, cette ristourne est désormais déduite de la rémunération du pharmacien.

Or, ces remises, négociées par l’Assurance maladie, ne sont pas reversées aux officines. Pourtant, elles pèsent directement sur leurs revenus. Avant cette mesure, la marge était calculée sur le prix de vente. Désormais, elle est calculée sur un montant nettement inférieur. Le résultat : une compression brutale des marges, parfois de plusieurs dizaines de pourcents.

Pour les pharmaciens, c’est une injustice. Ils ne bénéficient pas de ces réductions, mais en subissent les conséquences. « On paie pour des économies qu’on ne voit pas », résume un pharmacien de province, sous couvert d’anonymat.

Un modèle économique en péril

Le métier de pharmacien n’a jamais été aussi complexe. Entre les obligations réglementaires, la gestion des stocks, les conseils aux patients, et les nouvelles missions de santé publique (vaccinations, dépistages), la pression est constante. Pourtant, les revenus stagnent, voire baissent.

Les officines de proximité, souvent indépendantes, sont les plus vulnérables. Moins de 30 % des pharmacies sont encore exploitées en libéral pur. Les autres appartiennent à des réseaux ou à des groupements. Mais même les petites structures, qui desservent des zones rurales ou mal desservies, sont touchées.

La fermeture d’une pharmacie n’est pas anodine. Elle fragilise l’accès aux soins, surtout pour les personnes âgées, les personnes sans véhicule, ou celles vivant en milieu rural. Selon un rapport de la DREES, plus de 20 % des Français habitent à plus de 10 minutes d’une pharmacie. Une distance critique en cas d’urgence.

Les syndicats en première ligne

Les syndicats de pharmaciens, notamment l’Union des Syndicats de Pharmaciens d’Officine (USPO) et la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France (FSPF), mènent la contestation. Ils dénoncent une décision prise sans concertation, sans évaluation d’impact, et sans alternative.

Ils exigent un moratoire sur la mesure, et une renégociation globale du modèle de rémunération des pharmaciens. Leur message est clair : le service public de santé ne peut pas se passer d’un réseau de pharmacies solide, accessible, et indépendant.

Certains appellent même à une réforme profonde du système : mieux rémunérer les actes de conseil, valoriser les missions de prévention, et garantir une rémunération stable, déconnectée des seuls volumes de médicaments vendus.

Le gouvernement sous pression

Le ministère de la Santé, dirigé par Aurélien Rousseau jusqu’en 2023, puis par ses successeurs dans le gouvernement d’Élisabeth Borne et Gabriel Attal, affirme vouloir maintenir l’équilibre financier de l’Assurance maladie. La baisse des prix des génériques fait partie de cette stratégie d’économies.

Mais face à la mobilisation, les voix se durcissent. Le Premier ministre a appelé au dialogue, tout en maintenant la mesure. Un positionnement difficile : entre rigueur budgétaire et préservation de l’offre de soins de proximité.

Certains élus, notamment en zone rurale, ont rejoint la protestation. Des maires ont exprimé leur soutien aux pharmaciens locaux, craignant l’apparition de « déserts médicaux » agrandis.

Et après ? Vers un modèle plus durable ?

La question n’est plus seulement financière. Elle est aussi sociétale. Quel avenir pour la pharmacie d’officine ? Doit-elle rester un simple distributeur de médicaments ? Ou peut-elle devenir un véritable acteur de santé de premier recours ?

Des pistes existent. L’expérimentation des pharmacies de santé, où les pharmaciens réalisent des bilans de santé, des vaccinations étendues, ou des suivis de patients chroniques, est en cours dans plusieurs régions. Mais ces missions ne sont pas encore suffisamment rémunérées.

Sans un changement de paradigme, le risque est réel : des fermetures en chaîne, une concentration des officines dans les grandes villes, et une perte de confiance dans un maillon essentiel du système de santé.