Scandale ou solution ? Les détenus pourraient bientôt payer leur propre prison
Imaginons un système où chaque jour en cellule génère une facture. Ce scénario, qui semble sortir d’un roman dystopique, est en train de devenir une piste législative sérieuse en France. Une proposition de loi récemment déposée à l’Assemblée nationale propose de faire participer les personnes incarcérées au financement de leur détention — un sujet à la fois budgétaire, moral et profondément politique. Avec un coût moyen de 128 euros par jour et par prisonnier, l’État cherche désespérément des leviers pour alléger une charge qui pèse de plus en plus lourd sur les finances publiques.
Le poids croissant de la prison sur le budget de l’État
En 2024, le système pénitentiaire français a absorbé près de 3,7 milliards d’euros, selon les données officielles du ministère de la Justice. Ce chiffre reflète non seulement le nombre de détenus — environ 78 000 — mais aussi les coûts liés à la sécurité, à la santé, à la nourriture, et à la maintenance d’établissements souvent vétustes. La surpopulation carcérale, persistante malgré les réformes, aggrave cette pression.
Face à ces dépenses, certains élus estiment qu’il est temps de réexaminer la notion de solidarité pénale. Pourquoi, disent-ils, les citoyens devraient-ils payer seuls pour des actes qu’ils n’ont pas commis ?
Une idée venue d’Europe, mais explosive en France
La proposition de loi n°2378, déposée à l’automne 2024, s’inspire de modèles existants en Allemagne, en Suède ou en Suisse, où les détenus disposant de ressources sont appelés à contribuer aux frais de leur incarcération. En France, le mécanisme proposé est modéré : jusqu’à 30 % des revenus perçus en prison (notamment via des activités rémunérées) pourraient être prélevés.
Les auteurs du texte insistent sur le fait que cette mesure ne s’appliquerait qu’aux personnes ayant des moyens. Aucune double peine ne serait imposée aux plus démunis, affirment-ils. Pourtant, le débat s’est rapidement enflammé, révélant des fractures profondes sur la place de la justice dans la société.
Justice punitive ou justice réparatrice ?
Pour ses défenseurs, cette initiative incarne une avancée vers une responsabilité individuelle accrue. « Celui qui brise les règles doit aussi assumer une part du coût », résume un député signataire. Le message est clair : la sanction ne doit pas être entièrement externalisée.
Les opposants, eux, y voient une atteinte aux principes fondamentaux de la République. Selon la Commission nationale consultative des droits de l’homme, « imposer un coût financier à la détention risque de transformer la prison en service payant, ce qui nuit à la réinsertion et renforce les inégalités sociales ».
Un débat qui dépasse les murs de la prison
Au fond, cette proposition de loi interroge notre rapport collectif à la faute, à la réparation et à la dignité humaine. Doit-on punir pour punir ? Ou punir pour réparer — et réintégrer ?
Dans un contexte où les inégalités d’accès à la justice sont de plus en plus documentées, cette initiative pourrait marquer un tournant — ou une impasse. Une chose est sûre : elle oblige à repenser ce que signifie « payer sa dette à la société ».
