Une réforme secrète menace de bouleverser l’école — et personne n’est d’accord
Une récente proposition issue d’une instance citoyenne pourrait redéfinir en profondeur le quotidien de millions d’élèves. Portée par des intentions louables — mieux respecter le bien-être des enfants, améliorer leurs apprentissages et rééquilibrer leurs journées —, elle suscite pourtant un tollé chez les enseignants, les syndicats et les spécialistes de l’éducation. Pourquoi ? Parce que derrière des mesures présentées comme bienveillantes se cacherait, selon eux, une réduction du temps scolaire susceptible d’aggraver les inégalités.
Une Convention citoyenne au cœur du débat
Le 23 novembre 2025, les 130 membres de la Convention citoyenne sur les temps de l’enfant ont rendu publiques leurs recommandations. Leur mission ? Répondre à cette question : comment structurer les différents temps de la vie quotidienne des enfants pour qu’ils soient plus favorables à leur développement, leur santé et leurs apprentissages ?
Après six mois de travail, la Convention propose une série de mesures concrètes visant à réorganiser la journée scolaire, avec une logique claire : matinées pour les savoirs fondamentaux, après-midis pour les activités pratiques, et horaires mieux alignés sur les rythmes biologiques. Rien n’est encore officiellement adopté, mais le simple fait d’en discuter a relancé un débat vieux de plus d’une décennie.
Des experts inquiets pour les plus vulnérables
Le professeur en sciences de l’éducation Stéphane Bonnery voit dans ces propositions un danger réel. « Quand on additionne les mesures, on obtient une contraction du temps d’enseignement », alerte-t-il. « Ce n’est pas en supprimant des heures que l’on résorbera les difficultés des élèves les plus en difficulté. »
Le SNUipp-FSU, principal syndicat du primaire, abonde dans ce sens. Selon lui, sans augmentation des moyens ni transformation structurelle du système éducatif, ces aménagements risquent surtout de pénaliser les enfants des milieux populaires — ceux qui dépendent le plus de l’école pour progresser.
Le risque d’un deux poids, deux mesures
Bonnery met en garde contre un effet pervers : les nouveaux rythmes pourraient avantager les élèves déjà soutenus en dehors de l’école — souvent issus de familles cadres ou intellectuelles — tout en désavantager ceux qui n’ont pas accès à des activités extrascolaires enrichissantes.
« Les enfants qui se fatiguent le moins à l’école sont souvent ceux qui y sont le plus habitués », explique-t-il. « Au nom de cette minorité déjà hyperscolarisée, veut-on réduire le temps d’enseignement pour les autres ? »
Pour les élèves en difficulté, chaque minute en classe compte — notamment pour consolider les bases, préparer les examens, ou espérer une place sur Parcoursup. Moins de temps scolaire, c’est souvent moins de chances de mobilité sociale.
Entre idéal et réalité
Les intentions derrière cette proposition sont indéniablement bienveillantes : lutter contre la fatigue, diversifier les approches pédagogiques, et mieux articuler les temps de vie. Mais sans garantie de maintien du volume global d’enseignement — ni de compensation pour les plus fragiles — elles pourraient transformer une réforme du bien-être en machine à creuser les écarts.
Le gouvernement n’a pas encore décidé s’il reprendrait ces pistes à son compte. Une chose est certaine : toute modification des rythmes scolaires doit d’abord répondre à une exigence républicaine — l’égalité devant l’école. Et ce débat dépasse largement les horaires : il interroge ce que nous voulons transmettre, et à qui.
