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Le chariot des oubliés : quand la retraite se transforme en quête de survie

Elle a 74 ans. Elle s’appelle Colette. Chaque matin, à 7 heures pile, elle se rend devant le Franprix de Saint-Denis avec son vieux chariot en métal. Pas pour faire du shopping. Pour survivre. Elle attend que les employés sortent les invendus — yaourts à un jour de la date limite, pain légèrement rassis, boîtes de légumes écrasées. Elle les trie. Elle les lave. Elle les mange. Et elle ne dit rien. Parce que dire, c’est reconnaître. Et reconnaître, c’est avoir honte.

Un rituel silencieux, répété dans chaque ville de France

 

Ce n’est plus une scène isolée. Ce n’est plus un fait divers qui fait le tour des réseaux une journée, puis disparaît. C’est une routine. Une pratique banalisée. Dans les quartiers populaires comme dans les petites villes de province, des retraités — souvent seuls, souvent malades, toujours sous-estimés — se mettent en file derrière les bennes à ordures. Ils ne volent pas. Ils ne demandent pas. Ils attendent que les déchets soient jetés. Puis ils fouillent. Avec une précision de chirurgien. Une boîte de raviolis ouverte ? Vérification de l’odeur. Un carton de lait périmé de 48 heures ? Il est encore bon. Une tranche de jambon ? Elle sera mangée ce soir. Pas demain.

Le chariot, autrefois symbole de liberté, est devenu leur seul moyen de transport. Leur seul outil de dignité. Parce que quand on vit avec 850 euros par mois, on ne choisit pas. On survit.

La vérité que les statistiques cachent

En 2024, l’Insee révèle que 14,2 % des personnes âgées de 65 ans et plus vivent en dessous du seuil de pauvreté — soit près de 1,2 million de Français. Ce chiffre a augmenté de 2,3 points en seulement quatre ans. Et pourtant, on continue de parler de « retraités privilégiés » comme s’il s’agissait d’une catégorie protégée. Comme si la retraite était un filet de sécurité. Ce n’est pas vrai.

Les pensions n’augmentent pas au rythme de l’inflation. Les aides sociales sont de plus en plus complexes à obtenir. Les logements sociaux sont saturés. Et les soins dentaires, auditifs, ou les lunettes — indispensables — ne sont pas remboursés à hauteur de leur coût réel. Une enquête du Conseil économique, social et environnemental montre que 37 % des retraités ont dû renoncer à un soin médical au cours de l’année dernière. Pourquoi ? Parce qu’ils ne peuvent pas se le permettre.

Colette, elle, n’a jamais demandé l’aide sociale. « J’ai payé mes cotisations toute ma vie. Je ne veux pas être une charge. » Ce n’est pas de la fierté. C’est de la désespérance.

Le gaspillage, ce miroir déformant de notre société

Chaque année, en France, plus de 10 millions de tonnes de nourriture sont jetées. Sur les 30 % de produits invendus des supermarchés, moins de 15 % sont donnés. Le reste finit en déchetterie. Ou dans les poubelles.

Et pendant ce temps, des mains tremblantes fouillent dans les ordures pour trouver un morceau de fromage. Ce n’est pas un paradoxe. C’est une faillite.

Les enseignes installent des caméras pour dissuader les récupérateurs. Les municipalités retirent les bennes la nuit. Les associations, elles, n’ont plus assez de denrées. La loi Copé-Zimmermann oblige les supermarchés à donner leurs invendus — mais les contraintes logistiques, les peurs juridiques, les coûts de transport rendent cette obligation souvent théorique.

On parle de transition écologique. Mais on oublie la transition sociale. On veut sauver la planète. On laisse mourir les gens.

Qui parle pour eux ?

Colette ne veut pas être vue. Elle ne veut pas être filmée. Elle ne veut pas être utilisée comme un symbole. Elle veut juste manger. Sans avoir à choisir entre ses médicaments et son repas.

Et vous ? Avez-vous déjà croisé quelqu’un comme elle ? Dans votre rue ? Devant votre supermarché ?
Avez-vous tendu la main ? Ou simplement détourné le regard ?