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64 heures sur un brancard à 99 ans : quand l’hôpital n’a plus de place pour ses plus vulnérables

Elle n’a pas demandé d’éclat. Pas de caméras. Pas de discours. Claire, 99 ans, a simplement attendu. Attendu qu’un lit se libère. Attendu qu’on la déplace. Attendu qu’on la prenne en charge comme une personne, pas comme un numéro. Pendant 64 heures, elle est restée allongée sur un brancard, dans un couloir des urgences du CHU de Rouen. Sans sommeil. Sans confort. Sans dignité apparente.

Un week-end perdu dans les couloirs de l’urgence

Le vendredi, une détresse respiratoire l’a conduite aux urgences. L’ambulance l’a déposée. Les soignants ont fait ce qu’ils pouvaient : vérifier ses signes vitaux, la calmer, la couvrir. Mais les lits étaient tous occupés. Dans les services de médecine. Dans les boxes d’urgence. Même les zones d’attente temporaires étaient pleines.

Sa petite-fille, Aline, a appelé samedi. On lui a répondu : « Elle est toujours là. » Dimanche, même réponse. Lundi, enfin, un lit s’est libéré. Vers 13 heures. Elle a été transférée. Mais ce n’était pas une victoire. C’était une survie.

Un système qui ne peut plus absorber la demande

Le CHU de Rouen a reconnu une situation « exceptionnellement tendue ». Ce n’est pas une excuse. C’est un constat. En 2025, les urgences françaises accueillent chaque jour des milliers de patients âgés — souvent avec plusieurs maladies chroniques. Mais les lits gériatriques, les équipes spécialisées, les services de transition, ont été réduits depuis des années.

Les infirmières travaillent en sous-effectif. Les médecins sont en surcharge. Les transferts entre services sont bloqués parce que les hôpitaux de jour sont saturés, les EHPAD refusent les patients en crise, et les soins à domicile manquent de ressources. Résultat : les plus fragiles restent là. Sur des brancards. Dans des couloirs. Pendant des jours.

Les soignants, entre compassion et impuissance

Aline insiste : « Les soignants n’y sont pour rien. » Elle les décrit comme attentifs, calmes, pleins de bienveillance. Ils ont posé un sur-matelas pour éviter les escarres. Ils ont vérifié les signes vitaux. Ils ont parlé. Mais ils n’avaient pas de lit. Pas de main-d’œuvre supplémentaire. Pas de solution.

Ce n’est pas un échec individuel. C’est un échec collectif. Un choix politique. Un manque d’investissement structurel dans la santé des personnes âgées. Et ce choix, c’est Claire qui le paie — avec ses 64 heures de silence.

Une crise qui ne concerne pas que les urgences

Le cas de Claire n’est pas un accident. C’est une tendance. À Nantes, à Lyon, à Lille, les mêmes témoignages reviennent. Des patients de 85, 90, 95 ans, coincés dans les couloirs. Parce que les hôpitaux n’ont plus de place. Parce que les EHPAD sont pleins. Parce que les soins à domicile sont sous-financés.

En 2025, un Français sur cinq aura plus de 75 ans. Les urgences ne seront pas plus nombreuses. Les personnels ne seront pas plus nombreux. Les budgets restent figés. Alors, qui paiera le prix de cette inaction ? Les plus âgés. Les plus isolés. Ceux qui ne peuvent plus crier.

Que changer ? Des réponses qui vont au-delà des annonces

Les ministres annoncent des mesures : réserve sanitaire, primes à l’embauche, réouverture de lits. Ces gestes sont utiles. Mais ils sont temporaires. Ce dont il faut, c’est une réforme profonde : financer les lits gériatriques, revaloriser les carrières dans le médico-social, créer des passerelles entre hôpital, domicile et EHPAD.

Le financement de la santé ne peut plus se résumer à des économies sur les postes de soins. Il doit devenir un investissement dans la dignité. Car attendre 64 heures sur un brancard, ce n’est pas une mauvaise organisation. C’est une défaite de notre société.